Des questions scientifiques et politiques les plus nouvelles et urgentes, de l’intelligence artificielle jusqu’au climat et aux migrations, l’humanité se transforme et en appelle aux Humanités. Que sont-elles ? À quelles urgences répondent-elles ? Comment se transforment-elles ? Comment les transmettre ?
On assiste aujourd’hui à une transformation de l’humanité mais aussi à un renouveau des humanités et notre hypothèse est que seul ce renouveau peut répondre à cette transformation, qu’il y a là une exigence et même peut-être une urgence, aujourd’hui.
Mais il faut pour cela éviter une double erreur, sur les deux termes de cette relation ou les deux aspects de ce changement. Il y a certes aujourd’hui un sentiment général du changement de l’humanité et on sent venir de partout un appel aux humanités (ce mot qui revient, dans tous les cursus scolaires et universitaires, dans tous les domaines, de la médecine à l’environnement). On fait comme si le changement de l’humanité était une transformation complète et mystérieuse, un chaos nouveau et presque impensable, avec à la fois des régressions et des progrès il est vrai sidérants, du risque climatique à la révolution numérique. Et d’un autre côté on recourt aux humanités comme à un socle supposé immuable, un savoir réservé et figé à la fois dans ses objets et dans ses méthodes, dont on sent qu’il est nécessaire à la vie humaine mais dont on risque de refaire un refuge ou un luxe.
Or, notre hypothèse dit tout le contraire. Nous soutenons à la fois que le changement qui affecte aujourd’hui l’humanité n’est pas un chaos impensable, et justement qu’on ne peut le penser et s’y orienter que grâce à des humanités qui de leur côté retrouvent certes leurs exigences et leurs forces les plus éprouvées et reconnues, mais d’une manière entièrement renouvelée aujourd’hui, et surtout qu’il ne s’agit pas d’inventer ou d’invoquer de toutes pièces puisqu’elles sont et se font là, sous nos yeux, dans nos universités et nos écoles, ici, partout.
N’est-ce pas ce qui s’est passé d’ailleurs à chaque moment critique de l’humanité où devant des changements profonds on est « revenu » aux humanités, mais en les renouvelant entièrement comme au moment de l’humanisme de la Renaissance qui est un retour aux classiques précisément pour penser la science moderne et la découverte des nouveaux mondes, et cela avec de nouvelles méthodes et de nouveaux objets (y compris dans l’édition et la lecture des textes les plus anciens) ?
C’est donc bien là ce qu’il convient de faire aujourd’hui : mettre ensemble les nouvelles questions de l’humanité et les nouvelles réponses des humanités, dans tous les domaines. Et tel est le projet non seulement du colloque des 14 au 16 janvier à l'École normale supérieure, mais des programmes de formation, de recherche, de diffusion et de discussion qui vont y être présentés, comme une table d’orientation et de partage pour tous ceux qui en France et dans le monde se préoccupent de mettre ensemble ces deux exigences, qui n’en font qu’une.
Il s’agit donc d’avoir une idée large, précise et critique des humanités, non seulement pour répondre à des besoins nouveaux mais pour utiliser des savoirs et des outils nouveaux qui surgissent de partout aujourd’hui. On en appelle aux humanités médicales, environnementales, transnationales. Par le mot « humanités numériques » on désigne à la fois de nouveaux outils et de nouveaux problèmes. Il surgit partout des formations en Humanités, de nouvelles spécialités au Baccalauréat, jusqu’à des Doctorats dont la reconnaissance et l’utilité commence à être comprise à nouveau partout, en passant, partout en France et dans le monde par des licences en « humanités ».
Mais que veut-on dire exactement par là ? Comment chacune de ces dimensions et de ces directions a-t-elle à la fois sa nécessité et sa spécificité, et sur le fond de quel horizon et de quel besoin commun et non moins précis ? C’est à cela qu’il faut répondre et tel est le projet de cette rencontre qui mobilise dans ses séances plénières des chercheurs parmi les plus reconnus dans le monde pour dire ce qui leur paraît le plus important et le plus urgent à cet égard ; et qui développe entre ces plénières, dans des ateliers parallèles, toutes les réalisations collectives en cours qui cherchent à y répondre concrètement à l’ENS, dans l'École universitaire de recherche Translitterae de PSL, et partout ailleurs, comme un jalon entre des projets déjà entamés (Humanités dans le texte en lien avec le site du Ministère et sa Maison numérique des Humanités, Médecine et Humanités, ce programme de bourses en humanités pour des étudiants en médecine à l’ENS), d’autres qui se lancent à l’occasion du colloque (Planète vivante et milieux humains, Humanités européennes, Études africaines), d’autres encore qui commencent à se dessiner, notamment à travers des échanges internationaux (par exemple avec la Chine) ou des présentations de doctorants et cela en présence d’élèves et d’étudiants de tous niveaux qui sont invités à s’y associer et à y participer.
Dans chacune de ces directions et en réponse à chacune de ces questions (que sont les humanités, à quels besoins répondent-elles, comment se transforment-elles, comment les enseigner) c’est cependant la même idée qui nous anime. Les Humanités, au sens large, désignent tous les savoirs que l’humanité a élaborés sur elle-même, dans son ou ses histoires, son langage et ses langues, ses cultures et ses textes, pour se connaître elle-même et s’orienter dans le monde. Il n’y a pas à s’étonner qu’on les associe à l’Antiquité : ce fut un des grands moments réflexifs sur l’humanité, qui en inventa certains termes et certaines questions dont celle-ci : connais-toi toi même, prolongé des mathématiques à la médecine en passant par la philosophie ou la tragédie, et Homère. Il faut y revenir par le texte, la langue, la traduction, l’explication, la discussion, la confrontation. Et on y revient par les questions et les recherches d’aujourd’hui comme dans les projets des Humanités dans le texte, au carrefour de nombreuses initiatives et de nombreux réseaux, partout en France, et qui ne demandent qu’à se structurer et se renouveler aussi.
Et, de plus, il n’y a pas à opposer ce savoir précis, ouvert, aux Sciences humaines et sociales qui sont vitales aujourd’hui pour tous les enjeux contemporains et concrets des humains dans le monde, aux côtés des sciences de la nature et de la vie. La science, ici, est inséparable des humanités, l’inverse étant vrai, et l’Ecole normale supérieure le sait, dont l’exigence dans chaque discipline est inséparable de l’exigence de les associer toutes, et cela dans une ouverture à et sur toute la société et le monde d’aujourd’hui.
Il faut ajouter que les humanités ont parmi leur spécificité de se valider par des confrontations critiques et des discussions dans des cadres qui leur donnent une légitimité par cette confrontation même et ses règles. Elles ont besoin des institutions et de la reconnaissance qui préserve leur liberté et leur vérité dans la cité, pour en retour y introduire les exigences critiques de vérité et de liberté, qu’elles exigent toujours de concilier et de ne jamais séparer. Un usage critique des humanités dans un moment critique pour l’humanité : c’est une autre des évidences mais aussi des exigences qui est ici attendue, et soutenue. Un projet de revue, des échanges internationaux et interdisciplinaires, une diffusion sociale et publique de la recherche nouvelle et vivante, tout cela en fait partie.
On pourrait oser le dire si c’était entendu justement en un sens large et précis et en invitant à poursuivre et à partager, avec toutes les voix qui vont s’y exprimer, et discuter, y compris de manière critique : il y a aujourd’hui des nouvelles humanités, et une nouvelle école des humanités. Il faut le faire savoir et surtout il faut, désormais, s’y mettre.
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